Le comptable compte, le manouvrier manoeuvre, le dramaturge dramatise, l'ingénieur s'ingénie, le romancier romance et l'imbécile, lui,...

L'imbécile compile
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En marge :

Source : Télérama

II. De l'usage du droit pénal dans le débat politique

Télérama scribebat :

“Le problème avec les jeunes, c'est qu'ils sont jeunes. Jamais tranquilles, turbulents, insolents, ils dérangent. Disent des gros mots, respectent rien, courent partout, bousculent les honnêtes gens. Ecoutent du rap, taguent les murs. Et bruyants avec ça ! Se déplacent en bande, sortent le soir jusqu'à pas d'heure. Tous les mêmes, les jeunes, surtout ceux des banlieues, planqués sous leur capuche. Parlent verlan, mettent leur casquette à l'envers, comme l'a remarqué la perspicace Nadine Morano.

Le pire, c'est qu'ils ont toujours été jeunes, les jeunes. Au début du XXè siècle, on les appelait les "apaches", la presse les décrivait se déplaçant en bandes dans les faubours ouvriers de la capitale, on les disait violents, voleurs et assassins. Après la guerre et le baby-boom, dans les années 1960, ils se sont transformés en "blousons noirs". La presse faisait ses choux gras du moindre incident, on les disait violents, voleurs et assassins. Ils avaient le couteau facile, ils se battaient entre eux, se déchaînaient sans raison. Et vivaient en bandes. La faute aux familles qui font plus leur boulot, expliquait-on déjà, à la dégradation des valeurs morales, au rock'n'roll, le rap de l'époque.

Aujourd'hui, c'est Nicolas Sarkozy qui reprend la rengaine, usée jusqu'à la corde. Le jeune d'aujourd'hui n 'a pas grand-chose à voir avec celui d'il y a cinquante ans, nous serine t-il pour justifier l'empilement des mesures répressives, l'abaissement de la majorité pénale à 16 ans et l'abandon progressif d'une justice spécifique pour les mineurs. De plus en plus jeunes, les jeunes nous dit-il. Surtout les récidivistes. Et qu'importent si les chiffres (voir Laurent Mucchielli, "Note statistique de (re)cadrage sur la délinquance des mineurs" in Champ pénal/Pénal Field, 2009) contredisent l'idée, sans cesse martelée, que les actes commis apr les mineurs seraient plus nombreux, plus violents qu'auparavant.

Dangereux, les jeunes. Dangereuses les gamines de 14 ans gardées à vue pour avoir tenté de s'interposer dans une bagarre à la sortie de leur collège. Dangereux le détenu de 15 ans qui s'est donné la mort dans sa cellule de la maison d'arrêt de Rouen au début de ce mois. Terminée, la philosophie de l'ordonnance de 1945 qui voulait que les objectifs prioritaires soient la prévention, l'édicatop, et ma réinsertion.

Moins de professeurs et de surveillants dans les collèges et lycées, moins de travailleurs sociaux, moins de police de proximité. Place à la sanction, à la sévérité, à la tolérance zéro. Vive la fouille des cartables, les portiques de sécurité à l'entrée des établissements scolaires, comme le proposait l'ancien ministre de l'Education nationale, Xavier Darocs. Vive le fichage dès 13 ans autorisé par un décret paru au coeur de l'été, malgré les sérieuses réserves de la CNIL. Vive le couvre-feu pour les mineurs du même âge, entre 23 heures et 6 heures, adopté par les députés le 11 février, même si la mesure apparaît concrètement inapplicable aux yeux des policiers et magistrats. L'essentiel est de faire peur, de mobiliser les troupes pour les prochaînes élections, de resserer les rangs d'une certaine France. Et le problème, avec cette France là, c'est qu'elle est vieille.”

(Télérama, « Attention, jeunes méchants ! » in Télérama, n°3136, février 2010, p. 11)
Céans, le vendredi XIX février MMX

Le propos est efficace. Lapidaire. Les vieux ont peur des jeunes. Comme hier.

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On remarque à peine l'absence d'une question pourtant loin d'être secondaire : les actes reprochés aux jeunes sont-ils socialement acceptables ? On peut, certes, postuler que les actes commis par les jeunes sont inchangés au fil du temps, voire des siècles. L'homme n'est guère inventif et, après tout, tous les crimes commis ce jour l'on sans doute été hier, à l'identique ou sous une autre forme, admettons. Mais rien n'indique que les attentes sociales soient inchangées. Et rien ne permet d'affirmer qu'il faudrait que ce soit le cas. Il y a cent ans, on ne se choquait pas que l'apprenti ouvrier soit brimé, voire torturé, par son patron. Il y a quinze ans, on imaginait à peine que puisse être caractérisé un viol dans la sphère conjugale. A contrario, autrefois, on punissait l'homosexualité et on décapitait des criminels. C'est donc, in fine, que le droit pénal n'est pas figé. Et si ce droit est amené à évoluer, il faut alors se pencher sur la nature des faits, se demander si ces faits doivent être admis ou évités - disserter sur les errances de la jeunesse au fil des siècles est insuffisant. De manière subsidiaire, on ne peut se contenter de soigneusement éviter d'évaluer l'efficacité de la réponse pénale antérieure, s'il s'agit de se scandaliser d'un changement législatif en observant que le fait, lui, n'est pas neuf.

La violence dans le cadre scolaire constitue un exemple dans l'air du temps à ce propos. Ce mois-ci, dans plusieurs villes du Val-de-Marne (Vitry-sur-Seine, Thiais), des enseignants du secondaire ont fait valoir leur droit de réserve en cessant les cours après plusieurs faits de violences survenus dans les établissements scolaires, notamment après une agression à l'arme blanche. Le « ministre entend appliquer la tolérance zéro » sur ce type d'incidents (lemonde.fr/...). Mais, dans le même élan, dans l'article ci-contre, on s'étonne du placement en garde à vue de « gamines de 14 ans » qui ont « tenté de s'interposer dans une bagarre » - même s'il est limpide qu'il ne s'agit pas là de l'intitulé de l'infraction dont elles furent suspectées. L'école n'a sans doute jamais été le « sanctuaire » qu'on entend parfois évoquer, La guerre des boutons date de 1913 et n'est pas neutre de toute violence. Mais le droit pénal ne consiste pas à établir l'histoire des faits pouvant revêtir une qualification pénale. Le droit pénal consiste à sanctionner les faits que la société, au présent, désire atténuer ou supprimer. Et la société, au moins les enseignants par leur retrait, demande au droit de jouer ce rôle, de modifier les comportements. Peut-être, en effet, que l'on ne tolère plus ce qu'on tolérait hier. Il s'agit là d'un choix social, le constater ne suffit pas à le déterminer en bien ou en mal. Et les interventions de police, sollicitées par les parents et enseignants, ne font que refléter cette orientation.

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Alors, les jeunes, comme hier ? Est-ce vraiment la question ? Faut-il en rester à cette rhétorique habituelle chez Laurent Mucchielli (le même qui, il y a quelques années, assistait à un débat, dans feu l'émission Arrêt sur Image, sur les viols collectifs, en arguant que ces viols ne sont pas un problème préoccupant, justifiant un fort intérêt médiatique, car ils ne sont pas innovants), qu'il diffuse sous l'apparat de la sociologie (riesling.free.fr/...) sur son blog, unique en son genre par le fait qu'il y est impossible de poster des commentaires ? Ces jeunes, qui sont-ils, sachant que le terme, étrangement désigne des individus dont le point commun n'est pas nécessairement d'appartenir à une même génération (riesling.free.fr/...) ?

Quant aux vieux, s'agit-il d'un groupe homogène ? Le discours alarmistes sur la violence dans les établissements scolaires est-il uniforme, constant, peu importe qu'il émane d'un ministre de droite ou d'un enseignant syndicaliste de gauche ? Est-il absolument impossible que l'objectif affiché ne soit pas qu'une manoeuvre politicienne ? Si l'idée de couvre-feu pour les mineurs est inapplicable -autant que l'est la répression de l'ivresse publique (legifrance.gouv.fr/...)-, s'agit-il véritablement de s'assurer qu'absolument aucun mineur ne soit hors de son domicile en pleine nuit, où s'agit-il simplement de se donner les moyens de l'éviter ou de faire cesser le trouble potentiel ?

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Au final, n'est-ce pas dans cet article, justement, que le droit pénal se trouve réduit à jouet politicien, perdant sa dimension éminemment politique ? Les problèmes évoqués ne sont-ils pas complètement survolés ? Les questions, pourtant essentielles, qui consistent à se demander si les faits évoqués méritent réponse pénale et si les réponses pénales déjà en vigueur sont efficaces, n'y font-elles pas cruellement défaut ? « L'essentiel est de faire peur »... L'absence d'information, qui frise la désinformation, sur les circonstances de l'application de la loi pénale, sur les évolutions prévisibles de cette loi, provoque sans doute aussi un réflexe d'angoisse. À aucun moment dans cet article n'est alléguée d'erreur de droit de la part de la police et de la justice ; à aucun moment, l'existence de violence dans les écoles n'est niée. Alors, sinon la peur, quel argument en faveur du statu quo doit-on retenir ? Est-ce pour « mobiliser les troupes pour les prochaines élections », pour « resserrer les rangs d'une certaine France », une France qui refuse tout changement, tout initiative, et cela au nom de la jeunesse ?

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