Le comptable compte, le manouvrier manoeuvre, le dramaturge dramatise, l'ingénieur s'ingénie, le romancier romance et l'imbécile, lui,...

L'imbécile compile
.

En marge :

Stranger Than Fiction

(Où l'on évoque le cinéma, l'audiovisuel)

III. Du caractère normatif du septième art

Cécile Mury scribebat :

“Conversation entre une jeune fille et un gentil trentenaire. Elle est vierge et lui confie qu'elle a l'intention de le rester, pour le moment, en attendant « le bon ». Il la félicite. De quel film s'agit-il ? D'une bluette des années 1950 ? Pas du tout. La scène se passe dans American Pie 4. Mais oui, le dernier-né de la fameuse série de comédies potaches ultra débridées. [...] C'est un indice. Une vérité cachée derrière le grand trompe-l'oeil que déploient les comédies hollywoodiennes depuis quelques années.

De loin, en effet, ça ressemble à une liberté (sexuelle) bien conquise depuis le code Hays, célèbre règlement de censure puritain, disparu depuis 1966. Dans les romances, on ne parle que de ça. Entre amis, entre amants, entre collègues. Et le plus crûment possible, avec l'insistance d'un gamin tout fier de savoir des gros mots. A tel point qu'on a parfois l'impression que les dialoguistes cherchent à chaque ligne un nouveau substantif pour désigner, en vrac, les parties génitales de monsieur, de madame, ou les différentes positions de leurs ébats. [...] Bien sûr, l'amour, toujours, les guette au coin de l'oreiller. Mais il est servi à part, comme quelque chose de trop pur pour être mélangé aux impératifs du corps. Drôle de tartuferie à l'envers : si les puritains de jadis planquaient leurs désirs derrière un masque verteux, Hollywood fait aujourd'hui tout le contraire. Les poses affranchies, féministes, les dialogues décomplexés, ne sont là que pour déguiser un discours normatif en faveur de l'institution du mariage, de la fidélité, des valeurs familiales. [... Dans American Pie 4] de transgression morale, point : on frôle l'adultère, mais l'on y cède pas. Même destin bien tracé pour les « sex friends » qui finissent tous monogames. Quand l'amour arrive, il n'est plus question de libertinage. Dans le récent Target, Reese Witherspoon fait mine de désirer deux hommes en même temps. Encore un faux semblant : au final, non seulement elle n'en élit qu'un seul, mais c'est, heureux hasard, celui avec lequel elle a déjà couché. [...] »”

(Cécile Mury, « Les néopuritains de Hollywood / Faux cul ! » in Télérama, n°3250, main 2012, p. 44)
Céans, le samedi V mai MMXII

La nouvelle formule de la revue Télérama m'a positivement surpris : plus de contenu et moins d'attendu. On peut néanmoins toujours compter sur la rédaction pour nous pondre quelques articles tel que celui-ci, reposant sur une flopée de parti-pris jamais énoncés. Petite liste à tiroir rapide :

Première impasse, l'article nous parle du cinéma Hollywoodien (nord-américain ?) comme s'il était homogène, uniforme. Peut-on comparer Synecdoque New York, Requiem For A Dream et la série des American Pieᵉ ? Il me semble que le ton et le contenu de l'audiovisuel d'outre-atlantique est largement plus varié -sans doute en partie conséquence d'une certaine segmentation- que ce que nous connaissons. Nous sommes loin d'avoir un début de Saturday Night Live ou de séries à la HBO céans.

L'article nous balance une date et évoque un code. Chouette. Mais ça ne compense pas la plus totale absence de contextualisation du sujet. Ainsi, la virginité au mariage serait une idée rétrograde tout à fait oubliée qui reviendrait subitement, « une vérité cachée » qu'il faudrait débusquer au moyen « d'indices ». Britney Spears, chanteuse dont les parties intimes sont visibles en gros plan sur google images avec une recherche en trois mots, a pourtant lancé sa carrière sur ce thème. De la même manière, l'article s'étonne que « l'amour [est] servi à part, [...] trop pur pour être mélangé aux impératifs du corps ». C'est pourtant le principe même des maisons closes, pas franchement une innovation, pas non plus tout à fait apanage des puritains, que de proposer du sexe hygiénique.

L'article fait appel à de nombreuses notions floues. Il est question, par exemple, de valeurs familiales. Qu'est-ce qu'une famille, au juste ? Qu'est-ce qu'une famille au sens de la série nord-américaine Modern Family ? En outre, quand bien même les idées exprimées par un cinéma hollywoodien unanime seraient déplaisantes, s'agirait-il forcément d'hypocrisie comme le suggère le titre ? D'où tire t-on légitimité pour arbitrer le débat sur le mode de vie idéal ? Serait-il véritablement plus chic que Reese Withersppon dans Target ait couché avec l'homme qu'elle n'a pas élu ? Est-ce que ça témoignerait d'une ouverture d'esprit souhaitable ? Faut-il que le cinéma prenne pour objet la vie sexuelle et sentimentale des Catherine Breillat, Millet et autres, pour avoir droit de paraître ?

In fine, qui est le plus rétrograde dans l'affaire, sinon celui qui se scandalise que puisse exister un cinéma échappant à ses souhaits, c'est-à-dire un cinéma ayant le culot de référencer un mode de vie sentimentalo-sexuelle non conforme à ses attentes ?

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