Le comptable compte, le manouvrier manoeuvre, le dramaturge dramatise, l'ingénieur s'ingénie, le romancier romance et l'imbécile, lui,...

L'imbécile compile
.

En marge :

Source : Politis

I. De la philosophie judiciaire d'un assesseur du tribunal pour enfants

Gérard Marty scribebat :

“Face à la montée de la violence dans les établissements scolaires, la réponse des pouvoirs publics, reposant sur le renfort de l’arsenal répressif, fait apparaître une certaine incompréhension de la problématique spécifique aux jeunes en difficultés. Il devient urgent de dépasser la simple question sécuritaire pour orienter le débat public sur l’effacement de règles sociales, dans une société de consommation où l’abondance est élevée au rang de dogme.

Rappelons tout d’abord que notre économie a pour objectif de satisfaire, à partir de ressources rares, les besoins illimités des agents économiques. Par conséquent, la recherche du bien-être économique induit nécessairement un niveau de consommation supérieur. L’explosion des crédits à la consommation constitue à ce titre un bon révélateur de la contrainte de consommation imposée aux ménages par des firmes qui utilisent l’outil marketing pour susciter de nouveaux besoins.

Ainsi, notre société marchande a favorisé la poursuite d’une quête commune à l’ensemble des groupes sociaux : la consommation d’une quantité de biens et services toujours plus conséquente. A l’image des voyageurs, chaque ménage est tenu, sous peine d’être rapidement marginalisé, de posséder un « kit de survie » composé de biens et de services (portable, voiture, etc.) évoluant avec le niveau de consommation. Dès lors, le plus grand danger pour cette société réside dans la non-obtention d’un niveau de consommation suffisant chez les individus, susceptible de créer un manque à assouvir coûte que coûte.

Or, et les vols de lecteurs MP3 et de téléphones portables sont là pour le rappeler, l’urgence à satisfaire le besoin de consommation a pris le pas sur le contrôle opéré par les règles sociales. Telle la dépendance à une drogue dure, le manque insoutenable de consommer des biens et des services, plus particulièrement chez les jeunes générations, conduit un grand nombre d’individus à enfreindre les institutions formelles (lois, règlements) et informelles (règles morales).

La situation des quartiers difficiles constitue une parfaite illustration de ce constat social dans lequel l’escalade de la violence en direction de la police et des établissements scolaires s’explique en partie par l’exclusion du rêve consumériste. En pénétrant dans les collèges et lycées, les délinquants, au-delà des gains obtenus (vols, racket), manifestent leur rejet d’une institution, qui à travers leur échec scolaire, les a conduit à ne pas accéder à l’abondance.

Dès lors, il est légitime de penser que la menace d’une sanction supplémentaire ne permettra pas de solutionner ces actes délinquants. Les gouvernements pourront multiplier les législations, ils se heurteront à une opposition sociale dont l’origine se situe au cœur même de notre modèle de société, basé sur la consommation. Seule l’opposition à ce mythe pourrait réellement modifier notre mode de vie.

Malheureusement, cette remise en cause apparaît pour le moins compromise si l’on considère que l’objectif principal des politiques anti-crise est de retrouver la voie de la croissance, unique solution trouvée à ce jour à la problématique du progrès humain. Il semble que l’épisode de la crise économique actuelle ne remette en aucune façon en cause notre dépendance au chemin tracé par un système dans lequel l’abondance est, à tort, interprétée comme le synonyme du bien-être.

Gérard Marty est enseignant agrégé d’économie-gestion au lycée F. Chopin de Nancy, assesseur au tribunal pour enfants de Nancy et doctorant en sociologie.”

(Gérard Marty, "Le mythe de l’abondance face à la réalité des violences urbaines" in Politis, n°?, 20 juillet 2009, politis.fr/...)
Céans, le lundi XX juillet MMIX

Cet article proposant une rhétorique somme toute banale serait quelconque s'il n'était pas signé d'un assesseur d'un tribunal pour enfants, c'est à dire une personne ayant un pouvoir de décision dans la chaîne judiciaire (« ils délibèrent avec le juge des enfants, sachant que chaque assesseur a un pouvoir de décision égal à celui du juge des enfants », cf. metiers.justice.gouv.fr/...).

Dans le premier paragraphe est évoquée « la problématique spécifique aux jeunes en difficultés ». Pas une problématique, la problématique. Pas des jeunes en difficultés, les jeunes en difficultés. Vu le reste de l'article, sommes-nous invités à déduire que tous les jeunes en difficultés sont foncièrement délinquants ? Que faire de ceux qui expriment leurs difficultés par d'autres moyens ? Hors le tribunal des enfants, point de difficultés ?

Plus loin, nous apprenons qu' « en pénétrant dans les collèges et lycées, les délinquants, au-delà des gains obtenus (vols, racket), manifestent leur rejet d’une institution, qui à travers leur échec scolaire, les a conduit à ne pas accéder à l’abondance ». Le propos est direct, incisif, sans nuance. Nous pourrions pourtant légitimement nous demander si la délinquance, les gains obtenus, ne sont pas cause de l'échec scolaire, au lieu de n'en être que conséquence. Nous pouvons très bien imaginer que lorsqu'on a l'opulence facile, la voie difficile de l'éducation parait moins séduisante. C'est une hypothèse qui en vaut une autre. Il est dérangeant qu'au tribunal des enfants, elle ne soit pas envisagée.

Et si cette hypothèse de l'antériorité du fait délinquant à la mise au ban social n'est pas envisagée, c'est parce que l'explication du phénomène délinquant pour notre assesseur repose sur «, les vols de lecteurs MP3 et de téléphones portables sont là pour le rappeler, l’urgence à satisfaire le besoin de consommation [qui] a pris le pas sur le contrôle opéré par les règles sociales ». Ainsi, « telle la dépendance à une drogue dure, le manque insoutenable de consommer des biens et des services, plus particulièrement chez les jeunes générations, conduit un grand nombre d’individus à enfreindre les institutions formelles (lois, règlements) et informelles (règles morales) ». Ici, une autre hypothèse non-négligeable d'analyse du fait délinquant est gommée, il s'agit de la dimension ludique du l'acte hors-la-loi. Pour notre assesseur, le besoin de consommer serait quasi-transcendant, incompris, incontrôlé... insoutenable. Pourtant, rien ne détermine l'impossibilité pour le mineur délinquant de prendre en compte rationnellement ses envies. Pire, rien n'indique qu'il lui soit impossible de prendre en compte la nuisance qu'il crée à autrui lorsqu'il « enfreint les institutions informelles », comprendre lorsqu'il voit le sang sur le visage de celui qu'il soulage de son téléphone portable.

Se dire qu'une personne rendant justice au nom de la République méconnaît, délibérement ou pas, l'ensemble de ces nuances, hypothèses explicatives du fait délinquant, a de quoi effrayer.

#1 > Le jeudi 23 juillet 2009 à 16h51 par Milla :

Bonjour,
je travaille dans l'insertion sociale, l'éducation nationale, pas le profs qui suivent le mouvement et ne peuvent faire autrement...

il y un peu de toutes les causes dans ce marasme, les immeubles, la volonté de chacun, la consommation, l'éducation parentale, d'ailleurs celle dont personne ne parle vraiment !!

quand on sait qu'un jeune de 20 ans un jeune a déjà pour >3000? de dettes de crédit a la consommation, y a pas photo !
cordialement

#2 > Le mardi 12 janvier 2010 à 15h26 par gérard :

Bonjour,

Je me permets d'apporter un droit de réponse à votre analyse sur un certain nombre de points.

Premièrement, il serait effectivement très réducteur d'assimiler les jeunes en difficultés à des délinquants. D'ailleurs, cela n'est absolument pas le dessein de l'article. La référence à cet amalgame est faite pour regretter au contraire les discours politiques qui tendent malheureusement à stigmatiser les jeunes en difficultés comme des délinquants, nécessitant une réponse uniquement sécuritaire. Par conséquent, il est réducteur de votre part de dénaturer le sens du premier paragraphe. Il est bien sûr évident que les difficultés propres à la jeunesse ne se caractérise pas obligatoirement par des actes délinquants. La réussite de l'accompagnement scolaire que j'ai pue réaliser à de nombreuses reprises auprès de jeunes en difficultés en est bien la preuve. J'espère avoir ainsi levé toute ambiguïté.



Deuxièmement, votre commentaire fait apparaître l'hypothèse selon laquelle "l'opulence facile" rend compliquée la volonté de réussir scolairement. Pourquoi faire des études et gagner le smic alors qu'il est si facile de gagner sa vie en commettant des actes délinquants ? Cet argument a l'avantage d'être simple à comprendre. Le problème c'est qu'il est un peu trop facile à utiliser. En effet, si tel était le cas, les délinquants seraient dans des situations financières enviables. Or, il n'en est rien. Je vous renvoie, à la lecture du livre "Freakonomics" (p. 121) de Levitt et Dubner dans laquelle ils reprennent une étude (certes aux USA, mais on peut légitimement penser que cela peut s'appliquer en France) sur les raisons qui font que les dealers vivent toujours au domicile parental en raison des faibles gains obtenus.
Dès lors, et c'est sur ce point que nos divergences sont les plus sensibles, il me semble pertinent de ne pas effacer le poids des structures sociales dans la compréhension des comportements sociaux. L'argument selon lequel notre société de consommation à travers toutes les formes incitatives qu'elle peut prendre pour nous amener à consommer, est une des sources explicatives du comportement de certains jeunes, n'est pas négligeable. Ainsi, à travers cet article, il s'agissait bien d'insister sur le fait qu'en faisant de la consommation une fin en soi, on prend le risque de marginaliser toutes les personnes qui n'ont pas les moyens pour assumer cette nouvelle forme d'accomplissement quotidien. Or, parmi les jeunes qui réalisent des actes délinquants, nombreux sont ceux qui ne pouvant se payer les biens souhaités n'hésitent pas à se les procurer par des moyens illégaux.
Par conséquent, plutôt que de voir dans les gains générés par des actes illicites la raison de l'échec, je maintiens l'hypothèse que la délinquance est la conséquence de l'échec scolaire, privant tout espoir de réussite permettant l'accès à la société de consommation.

Enfin, dans vos explications finales, vous considérez que je pourrais excuser l'acte délinquant au prétexte que le jeune à l'origine de l'infraction est sous l'emprise irrésistible de son besoin de consommation. Tel n'est pas le cas, je vous rassure. En ce sens votre interprétation est pour l'occasion, en reprenant votre mot, sans réelle "nuance" et s'appuie sur un [effroyable] raccourci qui laisse à penser que je pourrais excuser tout acte de violence lié au besoin de consommation.

Si je considère que l'individu est soumis à des contraintes sociales, notamment celle qui le conduit à toujours consommer plus, il reste néanmoins un acteur social et non un "idiot culturel" au sens de Garfinkel. De ce fait, il lui est toujours possible au dernier moment de ne pas mettre du "sang sur le visage d'une victime". Malheureusement, il apparaît dans certaines situations, que le mobile du gain dépasse l'empathie pour la victime.
Ai-je mentionné que ceci est excusable ? Non. Mais, essayer de comprendre les raisons qui peuvent conduire à ce type d'agissement, n'est pas non plus inintéressant. Cela peut permettre à chacun de mieux comprendre le fonctionnement des acteurs sociaux dans notre société et de dépasser un grand nombre d'explications réductrices.


Cordialement




#3 > Le jeudi 21 janvier 2010 à 11h44 par Enclume des Nuits :

Bonjour,

Nos points de vue semblent en effet diverger quant au "poids des structures sociales dans la compréhension des comportements sociaux". J'ai entendu parler il y a peu de l'ouvrage que vous citez, je présume qu'il faudrait que je m'y penche. Toutefois, d'emblée, je me méfie de toute association directe entre la situation des Etats Unis d'Amérique et celle de la France. On peut sans doute trouver des similitudes entre nos sociétés, on peut tout aussi bien trouver de nombreuses divergeances - trop pour faire le postulat que la structuration des commerces interlopes soient similaires.

Concernant la France, avant tout, je pense qu'on ne peut faire l'économie du constat suivant : la disette n'y existe plus, on ne meurt pas de famine. Si la misère sociale existe, ne sont pas les plus malheureux ceux qui ont le bénéfice de vivre dans un HLM et de recevoir des aides sociales. Je ne suis pas convaincu que l'Etat soit aussi prévenant aux Etats Unis.

Pour rentrer dans le vif du sujet, pourquoi les délinquants vivent-ils chez leurs parents - puisqu'apparemment il s'agirait du critère retenu pour déterminer l'aisance des dealers ?
* Tout d'abord, la délinquance est en partie juvénile. Je ne pense pas qu'il vienne a l'esprit d'un délinquant de 15 ans de s'émanciper et chercher un domicile.
* Ensuite, il est évident qu'il n'est pas aisé d'obtenir un logement sans revenu fixe déclaré.
* Surtout, pour le délinquant juvénile, vivre chez ses parents ne constitue pas un problème mais un avantage : le gîte et le couvert est fourni, il peut consacrer l'ensemble de ses gains au ludique - voitures, habits, nouvelles technologies.

Conséquence de la répression possible de la non justification de ressources par une personne en relation habituelle avec des auteurs de trafics de stupéfiants, l'aisance matérielle de ces délinquants devient sous certains aspects moins manifeste. Au lieu de s'acheter un véhicule de grosse cylindrée, le trafiquant prospère préférera louer des voitures luxueuses mais moins tape-à-l'oeil, dont il changera régulièrement, qu'il prêtera à droite à gauche, compliquant de ce fait sa surveillance.
Mais les perquisitions domiciliaires dans le cadre d'affaires de trafics de stupéfiants révèlent, immanquablement, au delà des espèces parfois trouvées, la présence au domicile des parents d'objets de luxes, par exemple des téléviseurs à écran plat de plus de 100 cm (valant l'unité vers les 1000 euros), des dépenses absurdes pour des foyers aux revenus modestes qui auraient des difficultés d'existence concrètes. Ainsi les difficultés que l'on pourrait remarquer dans ces logements (désordre, absence d'intimité, etc) sont de l'ordre du choix de vie plutôt que de la contrainte, puisqu'il est matériellement possible aux intéressés de les résoudre.

Dans ce cadre, les délinquants ne sont pas seuls, leur entourage bénéficie de leurs largesses. Sans être trop inquisiteur, un parent responsable devrait se demander d'où proviennent les objets de luxe qui l'entourent.

Alors, quel est-il, le poids des structures sociales ? Si tous les citoyens, à l'exclusion des délinquants, jouissaient de produits de luxe, de téléviseurs à 1000 euros, etc, il serait justifié de penser que la délinquance est un moyen, peut-être l'unique, pour ces malheureux d'accéder au confort courant. Mais la réalité, c'est que leur condition matérielle d'existence est supérieure à celle d'une large part de la population, y compris celle de la classe moyenne, et leurs difficultés apparentes sont de l'ordre du choix.

(bien entendu, pour creuser la question, il faudrait distinguer les cas selon leur ancrage dans la délinquance - le voleur de sac occasionnel ne vit pas comme le trafiquant quotidien)

Vous écrivez qu'"à travers cet article, il s'agissait bien d'insister sur le fait qu'en faisant de la consommation une fin en soi, on prend le risque de marginaliser toutes les personnes qui n'ont pas les moyens pour assumer cette nouvelle forme d'accomplissement quotidien". Mais le fait est que mille individus n'en ont pas les moyens, et pourtant il ne leur viendrait pas à l'esprit de dépouiller leur voisin. Ils vivent sans car il est possible de vivre sans. Par contre, d'autres, qui choisissent la voie de la délinquance, se sont également fait connaître pour des infractions ne changeant strictement rien à leur condition d'existence (comme par exemple le cas de l'incendie criminel de véhicule volé).

Comment, alors, voir en la consommation l'élément clef ? On peut bien y voir un aspect incitatif, mais pas de quoi abolir pour autant le libre arbitre.

Pour résumer, si la délinquance juvénile n'était que le fruit d'individus dépourvus à la base de tout bien, si cette délinquance ne portait que sur l'obtention de biens qui sont la norme pour le reste de la population, alors, certes, on serait contraint de suivre avec vous "plutôt que de voir dans les gains générés par des actes illicites la raison de l'échec, l'hypothèse que la délinquance est la conséquence de l'échec scolaire, privant tout espoir de réussite permettant l'accès à la société de consommation".

Je ne prétend pas que vous ayez absolument tort. Je regrette uniquement l'absence de prise en considération de la dimension ludique du délit (où l'échec scolaire devient conséquence du délit), qui me semble composante importante en de nombreuses occasions. Vous reconnaissez que l'idée que la délinquance est conséquence de l'échec scolaire est avant tout une hypothèse. Il conviendrait aussi de ne pas oublier son antithèse.



Pour le reste, je suis heureux d'apprendre que ma conclusion est sans nuance et que l'importance que vous donnez à l'hypothèse évoquée précédemment au détriment de celle que j'ai tenté de developper n'altère pas votre capacité répressive (pris dans un sens large). Car la justice est bien, me semble t-il, là pour juger les auteurs d'infractions, et non pas la société en son entier en la proclamant responsable des faits et gestes des délinquants. Je suis donc ravi que vous me donniez tort sur ce point.


Je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à ce commentaire.

#? > Réagir :

Pseudonyme, nom :

Adresse (URL ou courriel) :

Commentaire :

Sur le même thème

Thèmes en relation

     100 Centre Street