Le comptable compte, le manouvrier manoeuvre, le dramaturge dramatise, l'ingénieur s'ingénie, le romancier romance et l'imbécile, lui,...

L'imbécile compile
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En marge :

E=mc²

(Où l'on disserte d'épistémologie)

I. De l'usage politique des sciences humaines

Alain Bertho scribebat :

“Penser autrement n’est pas simple. C’est un combat contre soi-même plus complexe que celui qui conduit à l’exclusion de l’autre. Ulrich Beck, dans le même ouvrage, en affirme la nécessité. Il faut, dit-il « s’affronter aux vieilles théories et aux habitudes de pensées que ce post a justement prolongées au-delà d’elles-mêmes » car « elles ne sont pas seulement présentes chez les autres mais aussi en moi-même ». Ce combat il le mène en pensée ; il le mène donc au cœur même de l’écriture car « un discours universitaire mesuré serait incapable de résister à la force centrifuge des vieux modes de pensée ».

Est-ce à dire que « nous avons, nous aussi, besoin d’une nouvelle science ou, peut-être, comme le suggérait Foucault, d’une antiscience » ? Je reste quant à moi tout à fait réservé sur un tel projet ou du moins sur le nom de « science » à donner aux paradigmes qui nous permettront de penser le présent. Laissons la science à la science. S’il est un héritage de ce vieux mode de pensée que la modernité nous a transmise c’est peut-être, notamment, de continuer à prendre la rationalité scientifique comme mesure et exigence de toute connaissance. La connaissance du social peut-elle être de nature scientifique ? J’ai surtout envie de demander : doit-elle l’être ? Peut-on penser l’humanité comme on pense la nature, de l’extérieur ? On sait qu’il n’en est rien. Mais alors quelle est la prétention d’un savoir qui veut s’élever au-dessus de la connaissance commune de qui veut s’élever au-dessus de la connaissance commune de l’expérience sociale et la juger au nom de la vérité ?

[...]

Il est temps, grand temps, de regarder la politique au présent, d’identifier les nouveaux pouvoirs qui se mettent en place, d’énoncer les principes d’humanité contemporaine qui peuvent leur faire face, de parler un langage politique « de ce temps ».

Or cette rhétorique est d’une efficacité redoutable. Isoler les dossiers et ainsi les dépolitiser permet de répondre à chaque souffrance en termes compassionnels et moralisateurs et non en termes de droit. Isoler de cette façon les dossiers permet l’identification de chacun aux victimes. Nul n’est à l’abri de ce discours. L’accord ponctuel avec telle ou telle analyse, telle ou telle caractérisation, telle ou telle façon de nommer les problèmes nous guette tous. Cet accord, même infime, même anecdotique, ne peut pas être sans conséquence.”

(Alain Bertho, Nous autres nous même - Ethnographie politique du présent, Bellecombe-en-Bauges, 2008, p. 10 et 131-133, berthoalain.files.wordpress.com/...)
Céans, le lundi V avril MMX

L'auteur de cet ouvrage, Alain Bertho, est un professeur d'université, anthropologue. Il ne s'agit pas divagations d'un étudiant en première année de sociologie. Ceci étant dit, si le titre est censé conférer une certaine autorité, il ne fait aucun doute que la science ne se fait pas d'arguments d'autorité mais de questionnements indociles.

De nos jours, nul prétend plus suivre l'exemple d'Auguste Comte, de l'entreprise positiviste, qui consistait sans doute avec excès à donner aux sciences humaines la prétention d'égaler les sciences physiques et mathématiques dans l'art d'établir la vérité. Songeons à l'histoire, où l'expérimentation n'est jamais reproductible. Toutefois, la démarche des sciences humaines à ceci de scientifique qu'elle se donne pour objet d'atteindre la vérité, même en sachant qu'elle n'est jamais simple, unique, complète, finie et figée, en respectant une méthodologie à cette fin. Bertho, lui, conteste l'idée même d'existence de sciences humaines[1], la considération de la rationalité scientifique comme accès à la connaissance du fait social.

Cette contestation n'est pas tout à fait originale. Elle se fonde sur l'hyper-relativisme. Ce qui est intéressant, par contre, c'est que son but est la politisation du savoir. Le refus de la science ne prend pas sens au nom de la nature de la connaissance mais au nom de son emploi. C'est ce qui permet à Bertho d'évoquer des « principes d’humanité contemporaine », aussi flous que discutables, qui « peuvent [...] faire face » aux « nouveaux pouvoirs qui se mettent en place ». C'est ce qui permet à Bertho de recommander de ne pas isoler les problèmes sociaux dans leur analyse -alors que c'est la base de toute démarche scientifique que d'identifier et isoler l'ensemble des composants d'un problème donné pour déterminer leur rôle et importance-, pavant la voie d'une compréhension idéologique du monde. Ainsi, pour Bertho, « l’identification de chacun aux victimes » [qu'on suppose d'infractions] est un piège dont il faut se prémunir. Pire, pour lui, il faut se mettre à l'abri de tout « accord ponctuel avec telle ou telle analyse, telle ou telle caractérisation, telle ou telle façon de nommer les problèmes ». En somme, pour Bertho, il faut se défier de ce qui nous convainc au nom de notre compréhension plus large du fait social. Au nom d'un paradigme, il faut refuser ce qui pourtant nous paraît juste mais non conforme à notre idéologie, ne pas tenir « un discours universitaire mesuré ».

Bertho dévoile sans équivoque sa compréhension du monde et l'emploi qu'il entend faire de sa chaire universitaire. Et si Bertho cite de nombreuses éminentes références, son travail ne prend pas le même sens que le leur. Par exemple, il cite trois fois Marc Bloch : pour Marc Bloch l'histoire, étude du fait social passé, était néanmoins indubitablement une science (« l'histoire est, par essence, science du changement [...] elle est, en un mot, authentiquement une science d'expérience puisque, par l'étude des réalités, qu'un effort d'intelligence et de comparaison lui permet de décomposer, elle réussit [...] à découvrir les va-et-vient parallèles de la cause et de l'effet », in Marc Bloch, L'étrange défaite, Paris, 1990, p. 150-151) ; pour Marc Bloch, nulle idéologie, aussi brillante soit elle, ne peut se substituer à l'analyse du monde tel qu'il se présente au jour le jour, cas par cas (« J'ai, personnellement, pour l'oeuvre de Karl Marx l'admiration la plus vive. L'homme était, je le crains, insupportable ; le philosophe, moins original sans doute, que certains n'ont prétendu le dépeindre. Comme analyste social, nul n'eut plus de puissance [...] Est-ce assez cependant pour que ses leçons servent éternellement de gabarit à toute doctrine ? [...] Comme si des théories nées de l'observation des sociétés européennes, telles qu'elles se présentaient vers les années [18]60, et nourries des connaissances sociologiques d'un savant de ce temps, pouvaient continuer à faire loi en 1940 » in Ibidem, p. 185). Bertho, lui, ne s'inscrit pas dans une démarche scientifique, c'est un idéologue. Bertho ne s'intéresse pas à la compréhension de cas particulier, il entend exposer au monde l'idéologie qui est sienne.

[1] ou sociales, si l'on s'en tient une définition exclusive : de toute façon, l'auteur parle à la fois de sociologie et d'anthropologie, la première étant une science sociale, la seconde une science humaine, si l'on s'en tient à la définition exclusive de Claude Lévi-Strauss pour qui les sciences sociales ont une visée d'intervention pratique alors que les sciences humaines elles se cantonnent à la connaissance pure.

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