Le comptable compte, le manouvrier manoeuvre, le dramaturge dramatise, l'ingénieur s'ingénie, le romancier romance et l'imbécile, lui,...

L'imbécile compile
.

En marge :

Entité : Cesare Beccaria

I. De la mise en oeuvre de la peine d'enfermement

Virginie Félix scribebat :

“Tous coupables, documentaire de Saïd-André Remli et Guillaume Estivig, France 2007, 52 min, rediffusion :

"Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons", disait Dostoïevski. À lire le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture, la situation dans les prisons françaises ramène notre pays au Moyen Âge ou presque. "Traitements inhumains et dégradants", "abus de placement en cellules d'isolement", "détenus attachés à leur lit" : le constat est accablant.

Ce documentaire n'adoucira pas ce tableau sinistre. Avocats, magistrats, travailleurs sociaux, psy, surveillants, familles de détenus y dressent un état des lieux sans fard de ces "zones de non-droit absolu". Décrivant autant que dénonçant la surpopulation, l'incurie psychiatrique et médicale, le manque de moyens dédiés à la réinsertion...

D'une grande sobriété formelle - une succession de témoignages émaillée de photos en noir et blanc montrant l'âpreté de l'univers carcéral -, Tous coupables rend compte d'une réalité aussi invraisemblable que révoltante, mais amène à une réflexion plus large sur la notion de sanction, la fonction de la prison dans l'organisation sociale et les solutions autres que l'enfermement. Au-delà du constat d'échec, il ouvre des pistes en donnant la parole à un chercheur du CNRS et au compositeur Nicolas Frize qui travaille avec des détenus et plaide pour la culture comme outil de reconstruction individuelle.”

(Virginie Félix, « Tous coupables » in Télérama, n°3112, septembre 2009, p. 75)
Céans, le jeudi III septembre MMIX

L'enfermement est sujet d'actualité avec la sortie du très correct "Prophète" de Michel Audiard, en ce moment diffusé dans les salles obscures. Le documentaire dont il est question dans cet article doit être de très bonne facture également, pour qu'il apparaisse si convaincant à son auteur au point que cette dernière se laisse aller à divaguer curieusement.

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La première curiosité consiste en la description de nos prisons françaises. Nul n'oserait prétendre qu'elles sont reluisantes, nous n'en sommes plus là, les grands projets de construction de nouveaux établissements en attestent. Surpopulation, le fait est indéniable dès lors qu'il s'agit des maisons d'arrêt (fr.wikipedia.org/...), lieux d'enfermement particulièrement sensibles dans la mesure où ils accueillent des mis en examen, individus encore judiciairement innocents - les centres de détention et maisons centrales (fr.wikipedia.org/...), a contrario, ne sont pas concernés, puisque fonctionnement selon le principe du numerus clausus. Présence considérable de détenus nécessitant un suivi psychiatrique, la chose n'est guère secrète.

Mais que dit au juste « le rapport » évoqué dans l'article, le rapport comme s'il en existait qu'un ? À vrai dire, le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, organe du Conseil de l'Europe, en propose plusieurs pour chaque pays d'Europe. Le dernier en date pour la France remonte à 2007, année de publication du documentaire (cpt.coe.int/...). Or, dans cet article, l'expression « traitement inhumains et dégradants » n'apparaît pas, sinon dans l'intitulé du comité. Au chapitre « mauvais traitement » dans les établissements pénitentiaires, annexe I, il n'est fait mention que de la recommandation qu'une « stratégie concrète pour traiter le problème de la violence et de l’intimidation entre détenus à la Maison centrale de Moulins-Yzeure et à et la Maison d'arrêt de Seysses (ainsi que dans tout autre établissement où de tels problèmes seraient présents) » ainsi que de la demande d'information sur les « allégations de mauvais traitements à la Maison d’arrêt de Liancourt, ainsi que sur les résultats de l’inspection en cours ». Il en va de même pour les autres citations du rapport : introuvables ou alors aucunement descriptive d'une situation générale. En dépit de ce que laisse entendre cet article, il n'est pas question dans ce rapport d'une stratégie globale de traitements inhumains de la part du personnel pénitentiaire, ni même d'une passivité généralisée à l'encontre de la violence entre écroués. Certes, ce rapport ne brosse pas un portrait idyllique de la situation des prisons françaises en 2007, il ne s'agit pas de dire que tout va dans le meilleur des mondes, que rien n'est à changer, que rien n'est a corriger, que rien n'est a améliorer. Mais il ne s'agit pas d'un accablant « constat d'échec », comme si, d'ailleurs, on pouvait juger de l'utilité sociale de la prison qu'au regard de leur impact sur les écroués, en ignorant complètement le reste de la société dont ils été délibérément mis à l'écart.

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La seconde curiosité réside dans le flash-back proposé par l'auteur de l'article. Ainsi, la situation de nos prisons, horrible nous dit-elle, nous « ramène [...] au Moyen Âge ou presque ». Presque ! Ouf, nous ne sommes pas tout à fait en cette période obscure et ignoble ayant... perduré un millénaire. Rappelons tout de même qu'à cette époque là, les châtiments corporels étaient la norme.

Cesare Beccaria, philosophe des Lumières -et n'étaient-ce pas les Lumières qui ont enfin mis un terme à cette ignoble période médiévale, éclairant, irradiant, notre chemin alors si sombre?- rédigeant son Traité des délits et des peines (fr.wikipedia.org/...) s'était fait le chantre de l'abolition de ces peines affligeantes concrètement inutiles. Notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en a hérité son Article VIII : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Et l'alternative des Lumières, c'est bel et bien le développement de l'univers carcéral.

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L'article appelle de ses voeux à une « réflexion plus large sur la notion de sanction ». Il est fâcheux que son auteur ait une vision caricaturale et simpliste du présent comme du passé, alors que le sujet est pourtant des plus complexes.

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